Par Célien Palcy
Organiser la rencontre entre les toiles d’un maître comme Olivier Debré et celles d’un jeune artiste comme Silvère Jarrosson est un défi que la Galerie Faidherbe a décidé de relever. Si Debré refusait de se définir comme paysagiste, c’est également le cas de Jarrosson. Cependant, les deux peintres entretiennent une relation particulière au paysage qui apparaît dans certains titres d’œuvres ou même dans le format choisi pour peindre. Une relation largement commentée chez Debré, beaucoup moins chez Jarrosson. Essai.
Les jardiniers le savent : cultiver un jardin, c’est créer un microcosme, un univers personnel où les lois de la nature rencontrent celles que l’on fixe soi-même. A la manière d’un enfant qui joue avec des versions miniaturisées du monde, embrasser la complexité de la nature à petite échelle permet de se rapprocher de celle qui habite le monde qui se déploie au-delà du jardin.
De l’hortus latin ancêtre des cloîtres occidentaux aux jardins secs japonais, de Versailles aux jardins créoles des Antilles, la valeur philosophique du jardin et son lien avec l’appréciation de la Création sont des traits culturels largement partagés à travers le temps et ce sur l’ensemble du globe.
Ne peut-on oser l’analogie avec les œuvres de Silvère Jarrosson ?
Que dire de l’artiste quand il épanche sur la toile des litres de peinture ? Les divers degrés de viscosité de la matière et cette manière qu’ont les couleurs de s’unir pour accoucher de motifs rappellent les profondeurs de la croûte terrestre. Ici s’ouvrent les entrailles du monde, là la caresse du vent imprime mille ridules à la surface d’une fragile membrane. Silvère Jarrosson recrée les réalités de la nature en en suivant toutes les règles : une genèse se fait jour dans l’atelier, cent fois réitérée. Un monde vierge cependant : l’homme ne semble pas y avoir laissé son empreinte. Une image acheiropoïète ?
Loin s’en faut. Car si l’artiste dissimulait jusqu’ici son action derrière les lois de la nature que sont la gravité ou la mécanique des fluides, une double révolution s’est opérée récemment dans l’atelier niché en fond de cour. La nature en apparence vierge des compositions initiales a fait place à la main humaine. J’évoquais dans un précédent texte la lourde charge sémantique qui accompagne l’acte par lequel Silvère Jarrosson ponce maintenant la surface de ses toiles. Le paysage d’acrylique se creuse sous l’outil mécanique. Les images volent en poussière et des vallées aux profondeurs infimes se creusent. Une stratigraphie du paysage à peine perceptible, née de main d’homme. Seul le motif répétitif des micro-griffures circulaires que l’outil laisse à la surface de la toile permet à l’œil attentif de déceler l’intervention abrasive de l’artiste. Le peintre s’est mué en terrassier qui organise la surface de la peinture à la manière d’un jardinier qui sculpte son paysage dans un écosystème vierge.
Si les jardins sont souvent la concrétisation de philosophies construites, quelle serait celle qui guide l’œuvre de Silvère Jarrosson ?
La puissance autoritaire de Le Nôtre aux Tuileries puis Vaux, Chantilly et Versailles manifestait avec éclat le triomphe de l’homme sur la nature, un humanisme vertical qui place homo sapiens au cœur de l’univers. Le jardinier de Louis XIV aimait terrasser, tracer, tailler et redresser, corriger la nature et ce jusqu’à l’œil de celui qui observe en se promenant dans des allées éternellement recommençantes… Non, le jardin de Jarrosson se veut plus romantique qu’absolutiste : le dressage de la nature est visible mais discret. Tel le jardinier anglais, il se plait à jouer sur l’illusion du naturel. Ou plutôt, la nature existe, superbe, mais l’homme l’invite à allonger son pas, il creuse son dos, courbe son pied, assouplit ses membres, les fait plus puissants, plus précis dans leurs mouvements, sans les briser.
Une fois le travail de sculpture achevé, l’artiste dépose la ponceuse. La correction de la nature prend fin : la toile semble soupirer, la main vibre encore de l’acte profanatoire. L’âge des seuls pigments maigres est révolu : place au temps des huiles.
Le pinceau, jusqu’ici absent des œuvres de Silvère Jarrosson fait désormais son entrée. Comme souvent dans ses recherches, Silvère Jarrosson explore en premier lieu par le noir : déposé en larges aplats qui épousent les courbes nivelées, creusées à la ponceuse, il chemine et se confond avec le camée d’acrylique.
Noir : ater ou niger comme disaient les Latins. Ater, il creuse à la surface de la toile des gouffres sans fond. Le paysage a ses lacs mystérieux désormais. Un noir qui absorbe la lumière et apaise le regard. Niger, il illumine. Dissous à l’essence, ses pigments opèrent une mutation : Les bords des lacs sombres s’évaporent avec éclat. Les masses minérales sont sublimées en gaz chatoyants, parfois éblouissants.
Une vision où la main de l’homme-artiste est clairement identifiable, intégrée aux mouvements naturels. Seuls quelques coups de pinceau d’huile blanche viennent signer et souligner l’outil utilisé, sur fond noir. Chaque chose a sa trace.
Quelle philosophie donc ? Celle que l’on voudrait sans doute pour notre monde contemporain. Un jardin-monde à l’anglaise, où l’homme, singulier par nature, s’intègre, imprime sa marque et soigne les plaies qu’il a ouvert pour ne pas s’effacer lui-même in fine.
Une vision réaliste ? Sans doute pas. Une utopie en couleurs à peine dévoilée sous un filtre de couleur acide. Un monde sous essence en quelque sorte.
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