Par Gérard Xuriguéra
Née pratiquement à l’orée du vingtième siècle, la peinture abstraite est loin d’avoir achevé sa course. Son influence auprès des jeunes générations, à compter de divers postulats, témoigne de sa pérennité, en dépit des sollicitations du numérique et autres scénographies éphémères.
Par ses choix, sa formation, ses affinités naturelles, son histoire personnelle, sa fibre spirituelle, Silvère Jarrosson appartient à ce quantum de jeunes artistes qui savent qu’il y a plus à découvrir dans le non-connu que dans l’évidence. Mais bien que ses compositions ne soient jamais des équivalences du visible, il en émane une réalité spécifique, où le poids du monde résonne intensément. En ce que s’entremet une corrélation entre ses architectures tremblées et son expérience chorégraphique, gouvernée par les arabesques du corps en mouvement. Toutefois, nonobstant cette référence revendiquée, il ne peint pas le mouvement mais sa trace emblématique, en quelque sorte sa mémoire, réincarnée dans l’écheveau glissé de ses formes ondoyantes et effrangées, en croissance continue - discontinue. Ainsi, entre élan pulsionnel, autrement dit sans préméditation, et maîtrise du geste, cette transcription picturale enclenche une écriture du jaillissement, corrigé par la règle implicite qui borne les affects.
Néanmoins, la discipline comme garde-fou en ultime réflexe, ne nuit pas à la promptitude de l’ébranlement vrillé qui sous-tend ses structures déflagratoires et les déroule à la manière d’un tapis de fraisages échelonnés et subdivisés le plus souvent en moutonnements sinon en spirales. Emaillée de plages vierges complémentaires, cette organisation spontanée du champs détache la part des automatismes calligraphiques, qui à leur tour dégagent l’autorité de la forme en soi et la signification des signes. Ayant commencé très tôt à développer sa notion du rythme au service de sa signalétique tantôt ajourée, tantôt resserrée, Silvère Jarrosson, on l’aura saisi, ne s’est jamais départi des assises de son activité antérieure, qui pour lui ne sont qu’un. Fondamentalement, confirme-t-il, ma démarche est restée la même, qu’elle soit dansée ou peinte.
Ample ou distendu, agrégé ou écharpé, généralement teinté de maculatures colorées, à la fois généreux et contenu, le geste chez lui s’accorde à la mesure de son sentiment intérieur et à la connivence avec son corps à l’oeuvre face au tissage de ses trames. Ici, cependant, malgré une ventilation parfois véhémente des unités, pas d’affolement des timbres ou de reliefs simulés, seulement des aplats interstitiels, dont la vague engendre une myriade de transparence, mitoyennes d’un chromatisme léger ou appuyé. Quant à la matière, toujours à l’acrylique, dans le prolongement de certains protagonistes du groupe Gutai ou de l’expressionisme abstrait d’outre-Atlantique, elle est directement projetée sur le support par le biais d’un dripping l’usage de l’auteur, afin d’atteindre l’impetus physique maximal. Et cette intervention de nous conduire au-delà du rendu, en ces régions où l’imaginaire prend le relai et nous propose la gamme de ses déductions.
Maintenant, si l’on devait établir des rapprochements stylistiques, on pourrait apparenter cette grammaire à la touche fluide et romantique d’un Paul Jenkins, ou à celle plus maçonnée au départ d’un Lee U Fan, qui lui, va jusqu’au bout de l’épuisement de l’empreinte du pinceau. De son côté, Silvère Jarrosson reste fidèle à lui-même, à l’appropriation instantanée de sa surface, au fil de son jeune itinéraire qui tient déjà ses promesses.
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