Silvère Jarrosson: démarche artistique
En histologie, pour observer une lamelle de tissu organique au microscope, on lui ajoute des colorants artificiels qui permettent de rendre visibles les tissus les plus fins, les plus transparents. Le recours à la peinture, sous différentes formes, pour révéler la chair, est une méthode que les peintres partagent avec les scientifiques. Pour révéler les corps, il faut les peindre. Amoureusement chez le Caravage, avec méthode et détachement chez le biologiste et probablement une forme de fascination morbide chez Soutine ou Bacon.
J’aimerais moi aussi trouver ma propre manière de révéler l’intime. Pas directement celui des corps : plutôt celui de la peinture elle-même, un retour aux sources de ce qu’est ce médium. Rendre visible ses caractéristiques internes, propre à la matière soudain mise en lumière.
Par sa mise en mouvement (coulures, dripping) et divers sévices que je lui inflige (brossage, ponçage, corrosion chimique), je l’invite à se dévoiler. À chaque médium son grain, sa façon de faire pli, de s’offrir. L’huile et l’acrylique, en cela, diffèrent et se conjuguent.
Les couleurs, sourdes mais pas absentes, s’enfouissent dans ce bain amniotique, palissent au fil des traitements, ne transparaissent que timidement, comme la manifestation externe de phénomènes internes. Comme une peau suinte en dehors ce qu’elle a d’abord secrété en profondeur, dans le derme.
Certaines de ces couleurs ne sont issues que de pigments noirs, dissous, éraflés, brulés jusque’à virer aux bruns ou aux gris bleutés. Autant de sévices qui révèle le noir, pigment si singulier, d’abord particulièrement résistant aux nombreux traitements reçus, mais ensuite délicat dans ses déclinaisons colorées. En cela, le noir m’évoque certaines relations amoureuses, qui ne s’adoucissent qu’après des débuts brutaux ou conflictuels.
Ce noir, très présent dans mes œuvres ne sert pas seulement un propos sur la lumière — il la révèle bien entendu — c’est aussi la porte vers un monde de l’intime, une invitation à sombrer dans les gouffres, ceux que décrit Henri Michaux (1) ou ceux que nos corps abritent.
(1) Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, Gallimard, 1961